JURISPRUDENCE DE RUYTERS – FÉVRIER 2016

Prélèvements sociaux des non-résidents, travailleurs frontaliers et certains fonctionnaires internationaux 

 

Episode II…

 

La non-conformité au droit communautaire du régime d’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux sur le capital et sur le patrimoine est devenu un sujet récurent.

Nous avions en effet publié un article en juin dernier au travers duquel nous avions décrit les possibilités de réclamer le remboursement de ces prélèvements sociaux indûment payés

Plusieurs évènements ont eu lieu depuis sur lesquels il nous a semblé important de revenir au travers du présent article.

  1. Rappel des principes :

Dans un arrêt « De Ruyter » du 26 février 2015 [1], la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) avait considéré qu’un résident français assujetti aux cotisations sociales dans un autre Etat membre de l’Union Européenne (UE) car travaillant dans cet autre Etat ne pouvait être assujetti en France aux prélèvements sociaux sur le capital et sur le patrimoine en application du règlement communautaire n°1408/71 [2].

Le Conseil d’Etat a repris cette position par deux arrêt confirmant tous deux, sur la base du raisonnement suivi par la CJUE, que le principe d’unicité issu du règlement communautaire précité interdisait d’assujettir aux prélèvements sociaux français un ressortissant de l’Union Européenne pour lequel ce règlement prévoyait l’affiliation exclusive à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre que la France.

Nous en avions donc conclu que pouvaient demander la restitution des prélèvements sociaux de 15,5%[3], les personnes suivantes :

  • Les non-résidents établis dans un des 27 autres Etats membre de l’UE, ainsi que les non-résidents établis en Suisse, Norvège, Liechtenstein et Islande
  • Percevant des revenus fonciers de source française, ou
  • Percevant des gains de plus-values immobilières résultant de la cession de biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens lorsqu’ils sont situés en France.
  • Les travailleurs frontaliers ressortissant de l’UE [4] non affiliés au régime de sécurité sociale française
  • Ayant été assujettis aux prélèvements sociaux sur :
    • Les plus-values immobilières et revenus fonciers,
    • Les dividendes, intérêts et revenus de placement fixe
    • Les plus-values de cession de valeurs mobilières
  • Y compris les résidents français travaillant en Suisse affilié à la LAMal
  • Les résidents français fonctionnaires internationaux non affiliés au régime de sécurité sociale française
    • Ressortissant d’un Etat membre de l’UE ou de la Suisse, Norvège, Liechtenstein et Islande,
    • Ayant été assujettis aux prélèvements sociaux sur :
      • Les plus-values immobilières et revenus fonciers,
      • Les dividendes, intérêts et revenus de placement fixe
      • Les plus-values de cession de valeurs mobilières
  1. Modalités de réclamation avant 2016 :

Afin de simplifier les procédures et devant l’afflux de demandes, l’Administration fiscale française a publié le 20 octobre 2015 un communiqué de presse de nature à simplifier les modalités de demande de remboursement.

Selon ce communiqué, pouvaient être déposées jusqu’au 31 décembre 2015 les demandes tendant à la restitution des prélèvements sociaux acquittés à compter de 2013 sous forme de simple demande écrite accompagnée des justificatifs nécessaires.

L’Administration fiscale précisait toutefois qu’elle n’entendait pas rembourser les montants correspondant au prélèvement de solidarité de 2% dus entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014(et donc ne rembourser les prélèvements sociaux qu’à hauteur de 13,5%) au motif que ce prélèvement ne finançait pas « des branches de la sécurité sociale » durant cette période.

Nous ne souscrivons pas à cette analyse et pensons que cette exclusion n’est pas justifiable au regard des arrêts de Ruyter de la CJUE et du Conseil d’Etat. Les contribuables qui voudront donc obtenir le remboursement de cette contribution devront, selon nous, introduire une requête devant le juge de l’impôt.

  1. Une modification législative sensée rétablir la conformité au droit communautaire de ces prélèvements sociaux à compter du 1er janvier 2016 :

Afin de rétablir la possibilité d’assujettir aux prélèvements sociaux de 15,5% les contribuables résidents et non-résidents dans les situations citées ci-dessus, le législateur, dans le cadre de la loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2016,[5]a prévu d’affecter le produit de ces prélèvements « au financement exclusif de prestations sociales non contributives » ; telle que notamment le Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV).

Nous pensons néanmoins que cette modification du « fléchage » de l’affectation des prélèvements sociaux ne saurait modifier l’analyse des juges communautaire et français. Ainsi, selon nous, nonobstant cette modification législative, l’assujettissement au prélèvements sociaux dans les conditions précitées reste contraire au droit communautaire et il serait toujours possible d’en d’obtenir la restitution, y compris donc depuis le 1er janvier 2016.

  1. Une contestation qui amènera nécessairement le contribuable devant le juge de l’impôt :

Dans la mesure où l’Administration fiscale considère, suite à l’intervention du législateur, qu’il est désormais mis fin à la situation de contrariété au droit communautaire de nos prélèvements sociaux, il ne semble pas raisonnable de penser que celle-ci acceptera de procéder spontanément à leur restitution.

Aussi, le contribuable qui voudra obtenir un tel remboursement devra nécessairement introduire une requête devant le Tribunal Administratif…

TO BE CONTINUED ….

[1] CJUE, 26 février 2015, aff C-623-13 ; Ministre de l’Economie c/ Gérard de Ruyter

[2] Règlement CEE n°1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté.

[3] CSG : 8%, CRDS : 0,5%, Prélèvement de solidarité : 2%, Prélèvement social : 4,5%, Contribution, additionnelle : 0,3%

[4] Ainsi que les ressortissants de Norvège, Islande et du Liechtenstein

[5] Article 24 de la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015


Non-résidents et travailleurs frontaliers : 
Haro sur les prélèvements sociaux

Les juges européen et français viennent de rendre, à quelques semaines d’intervalle, deux décisions importantes relatives au régime applicable en matière de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et sur les revenus de placement (de 15,5%) permettant aux non-résidents et aux résidents français frontaliers de pouvoir de demander le remboursement de ces prélèvements sociaux.

1. Des prélèvements sociaux contraires au droit communautaire :
La question de l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine et des revenus de placement qui, par essence, ne donnent pas droit, à eux-seuls, à des prestations sociales en contrepartie de leur paiement, a toujours soulevé des questions en terme d’équité mais aussi en des termes purement juridiques.
C’est dans ce contexte que la CJUE, dans un arrêt du 26 février 2015 a rendu une décision primordiale pour toutes les personnes qui ne sont assujetties en France qu’à ces seules catégories de prélèvements.
Dans cet arrêt, la Cour est venue préciser que l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine (en l’espèce sur rentes viagères à titre onéreux) des résidents français, travaillant à l’étranger et exclusivement affiliés à un régime de sécurité sociale étranger, est contraire au règlement communautaire n°1408/71 .
Cet arrêt vient d’être confirmé par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une affaire similaire concernant un résident français soumis aux prélèvements sociaux à raison d’une plusvalue immobilière alors que celui-ci n’était pas affilié au régime obligatoire français de sécurité sociale.

Dans ces deux espèces, le raisonnement est identique et peut se décliner de la façon suivante :
– Le règlement n°1408/71 pose un double principe d’unicité d’affiliation à un régime de sécurité sociale et d’unicité de cotisation sociale,
– Il existe un lien direct et suffisamment pertinent entre le prélèvement et certaines branches de la sécurité sociale (l’affectation des cotisations au fonctionnement de la Sécurité Sociale) alors même que ce prélèvement serait assis sur des revenus de la personne assujettie indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle en France,
– L’existence ou l’absence de contrepartie en termes de prestations est dépourvue de pertinence pour l’application du règlement précité,
– En conséquence, ne peuvent être assujetties à des contributions relevant du champ du règlement n°1408/71 les personnes qui résident en France mais qui ne relèvent pas du régime français de sécurité sociale.

2. La portée pratique de ces décisions :
Selon nous, la portée de cette jurisprudence ne se cantonne pas aux seuls prélèvements sociaux sur revenus du patrimoine des résidents français non affiliés mais semble bien plus large.

a. Prélèvements sociaux des non-résidents :
Depuis 2012 , les non-résidents fiscaux doivent s’acquitter des prélèvements sociaux au titre des revenus fonciers et des plus-values immobilières générés en France.
Les sérieux doutes émis sur la régularité de cette disposition sont aujourd’hui confirmés.
Ainsi, selon nous, en application de cette jurisprudence, les non-résidents pouvant se prévaloir de l’application du règlement n°1408/71 pourront réclamer le remboursement des prélèvements sociaux auxquels ils auront été assujettis.
Sont concernés :
– Les non-résidents établis dans un des 27 autres Etats membre de l’UE, ainsi que les non-résidents établis en Suisse, Norvège, Liechtenstein et Islande
– Percevant des revenus fonciers provenant de la location d’immeubles sis en France, ou provenant de droits immobiliers (droit indivis, nue-propriété, usufruit) ou de droits mobiliers (actions, parts sociales) de sociétés immobilières détenant des biens situés en France, ou
– Percevant des gains de plus-values immobilières résultant de la cession de biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens lorsqu’ils sont situés en France.

b. Prélèvements sociaux des résidents frontaliers :
La jurisprudence précitée permet également à tous les résidents français non-affiliés au régime de sécurité sociale française de se prévaloir du règlement n°1408/71 pour demander le remboursement des prélèvements sociaux sur les revenus de placement et du patrimoine auxquels ils auraient pu être assujettis.
Les revenus concernés sont les suivants :
– Les plus-values immobilières et revenus fonciers,
– Les dividendes, intérêts et revenus de placement fixe
– Les plus-values de cession de valeurs mobilières
– Perçus par les résidents fiscaux français affiliés exclusivement à un régime de sécurité sociale d’un des 27 autres Etats membre de l’UE, ou affiliés à un régime équivalent en Suisse, Norvège, Liechtenstein ou Islande
S’agissant des résidents frontaliers suisses, conformément à l’Accord bilatéral entre l’UE et la Suisse relatif à la libre circulation des personnes, en vigueur depuis le 1er juin 2002, ceux-ci sont soumis à la réglementation européenne et notamment aux règlements n°1408/71 et n°883/2004.
Ces frontaliers, aux termes des règlements européens précités, qu’ils soient salariés ou indépendants en Suisse, ne sont soumis qu’à une seule législation en matière de sécurité sociale, à savoir celle de l’Etat dans lequel ils exercent leur activité professionnelle.
Des possibilités d’exemption sont cependant prévues, permettant ainsi aux frontaliers de bénéficier d’un droit d’option entre l’affiliation au système d’assurance maladie suisse (LAMal), l’affiliation au régime général de sécurité sociale en France (CMU), ou encore la souscription d’un contrat d’assurance privé (cette dernière option a pris fin au 31 mai 2015).
Ceci ressort également de l’article L380-3-1 alinéa 2 du Code de la Sécurité Sociale français.
Les frontaliers qui sont donc affiliés à la LAMal, ou ceux qui étaient titulaires d’un contrat d’assurance privé à l’époque du fait générateur des prélèvements sociaux mais avant le 31 mai 2015, peuvent donc prétendre, sur la base de cette jurisprudence, à la restitution des prélèvements sociaux indûment payés.

3. Modalités de réclamation :
Les contribuables se trouvant dans l’une des deux situations ci-dessus énumérées pourront demander le remboursement des prélèvements sociaux payés sur la base de la jurisprudence précitée.
Il serait ainsi possible de demander le remboursement pour de tels prélèvements pour les revenus des années 2012 à aujourd’hui ; sachant toutefois qu’il existera quelques exceptions pour les revenus de l’année 2012 et que la réclamation concernant cette même année devra impérativement être déposée avant le 30 juillet 2015.

Jeannick Moisy Michel Brocard
Lintax Société d’Avocats
Brocard Avocats
Valérie Truchet
Truchet Avocat

Jurisprudence De Ruyters

par | Nov 16, 2020 | Uncategorized

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